Habitat participatif : le printemps français ?

, par  Andrea Paracchini

La loi Chalandon de 1971 avait sonné le glas de l’habitat coopératif en France. Quarante ans plus tard, les efforts de ceux qui ont toujours cru à une autre manière d’habiter, plus solidaire et moins spéculative, commencent à porter leurs fruits. Un nouveau cadre législatif favorable et un nombre croissant de projets sont-ils le signe d’un printemps de l’habitat coopératif en France ?

Les quatorze familles qui habitent dans le premier immeuble d’habitat coopératif de France viennent de fêter leur deuxième anniversaire. Situé dans une ZAC de Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon, le Village vertical est, depuis, devenu le symbole d’une nouvelle manière d’habiter car il prouve qu’en France aussi on peut sortir de la dichotomie propriétaire-locataire. Dans une coopérative d’habitants, en effet, les membres sont propriétaires collectivement d’un immeuble dont ils occupent les appartements individuellement. Et dont ils partagent salles communes et équipements : buanderie, chambres d’amis, jardins, terrasses… jusqu’à la voiture. Conçue et gérée démocratiquement par ses habitants, la coopérative est aussi une manière de lutter contre la spéculation immobilière, car le rachat des parts lors des changements de locataires est strictement encadré.

Des pratiques oubliées

L’essor de l’habitat coopératif en Europe date des années 1970. En Suisse, Italie, Allemagne et dans les pays scandinaves, ils sont aujourd’hui nombreux. La France, en revanche, choisit avec la loi Chalandon de 1971 d’interdire la location coopérative. Volonté de torpiller le mouvement coopératif par un gouvernement gaulliste ou signe de son incapacité à peser dans le débat public à l’époque ? Quoi qu’il en soit, le modèle paraît condamné aux oubliettes. Certes, l’envie d’habiter autrement d’une partie des Français donne vie à des expériences d’habitat innovantes qui, si elles n’ont pas les caractéristiques de l’habitat coopératif, insistent néanmoins sur la notion de partage et de codécision.

Dans un habitat groupé autogéré, les futurs occupants conçoivent leur logement en fonction de leurs besoins et de leurs capacités financières. Ensemble, ils définissent les locaux et les espaces extérieurs pouvant accueillir des activités communes. La plupart intègrent des objectifs écologiques. Aujourd’hui, on dénombre une centaine d’habitats de ce type.

Elles se réunissent dès 1977 autour du mouvement pour l’habitat groupé autogéré (MHGA). Ce sont pourtant les récentes crises économique et du logement qui poussent de plus en plus de Français à chercher des alternatives. « Qu’elle soit commerciale ou dans le social, l’offre de logement depuis une vingtaine d’années est inadéquate aux besoins des personnes », estime Pierre-Yves Jan, président de l’association cohabitat groupé. Membre de laCoordin’action des associations d’habitat participatif, née il y a trois ans sur les cendres de la MHGA, il habite un immeuble autogéré à Rennes depuis 1981. « Les logements sont chers, les questions écologiques sont négligées et rien n’est proposé pour assurer aux seniors un parcours résidentiel adapté. » C’est ainsi que les nouveaux pionniers de l’habitat redécouvrent des modèles qui paraissaient oubliés. De retour de voyages, en Allemagne, en Suisse et au Canada, où ils découvrent l’habitat coopératif, des citoyens et des acteurs de l’économie sociale créent Habicoop, une structure qui oeuvre en faveur du développement des coopératives d’habitants et accompagne les porteurs de projets. C’est avec l’appui d’Habicoop que le Village vertical – et deux autres projets en Côte d’Or et Midi-Pyrénées – ont pu sortir de terre ces trois dernières années. Mais aussi que, depuis février 2014, les coopératives d’habitants ont à nouveau droit de cité dans l’Hexagone.

Une loi qui ouvre des pistes

« L’habitat participatif est une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s’associer, le cas échéant, avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d’acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d’assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis. »
Le Village Vertical
Stephane Perraud

C’est ainsi que la loi ALUR 2définit l’habitat participatif. « Ce qui est très important, c’est qu’on reconnaît le caractère de démarche citoyenne », souligne Pierre-Yves Jan. Deux statuts d’habitat participatif existent désormais en France : non seulement la coopérative d’habitat mais aussi la société d’attribution et d’autopromotion. « Ces sociétés peuvent attribuer à leurs associés la propriété du logement ou alors sa jouissance, continue-t-il. Cette dernière notion est significative car elle représente un pas de côté par rapport à la notion de propriété, tout en n’effrayant pas le Français moyen. » Pari réussi, puisqu’on compte aujourd’hui quelque 3 000 projets d’habitat participatif en France. « Certes, aujourd’hui, ce sont surtout des Bobos issus des classes moyennes, reconnaît Pierre-Yves Jan. Mais l’habitat participatif ne doit pas être réservé aux adeptes de la permaculture ! Dans un esprit républicain, tout le monde doit pourvoir bien vivre ensemble. » D’autant plus que les bailleurs sociaux peuvent devenir partenaire associé de toute forme d’habitat participatif, coopérative ou société d’attribution. « 70 % des Français sont dans des conditions qui leur permettraient d’être logés par des bailleurs sociaux, rappelle Louis-Marie Saglio, porteur de projet et militant historique de l’habitat participatif à Grenoble. Il ne faut pas que l’habitat participatif reste réservé au 30 % restant. » Sur l’exemple de Strasbourg qui, dès 2009, a lancé des appels à projets en faveur de l’habitat participatif, des nombreuses villes publient aujourd’hui des consultations en vue de réserver des îlots à cette forme d’habitat.

Tous coopérateurs

« La nouvelle loi a généré un véritable appel d’air, affirme Olivier David. Rien qu’en région parisienne, il y a treize groupes en attente d’accompagnement de la part d’Habicoop. Et c’est partout comme ça ! ». Et pourtant, les décrets d’application se font attendre, ce qui risque de freiner le développement des coopératives d’habitants en France. Car non seulement il s’agit d’une démarche non spéculative exigeante, qui rebute naturellement tous ceux qui voient dans le logement une forme de placement. Mais chaque coopérative est aussi un montage complexe dans le cadre actuel. « Le choix de ce statut a du sens pour des projets qui comptent au moins une dizaine de logements, pour des projets plus petits, la maîtrise des coûts est difficile et compromet l’accès aux ménages modestes », explique Olivier David, en rappelant que certains projets, comme c’est le cas à Bordeaux, peuvent atteindre les soixante unités. En effet, les contraintes réglementaires et d’assurance propres à la construction de logements collectifs incitent les futurs coopérateurs à chercher le soutien des collectivités locales et la participation des organismes HLM à qui confier la maîtrise d’ouvrage. « Ce contexte partenarial est une force, mais peux s’avérer délicat, en particulier lors des changements de majorité municipale, admet Olivier David. Nous et les porteurs de projets, nous attendons avec impatience que le cadre annoncé avec la loi soit sécurisé. » En avril dernier est née la fédération Habicoop. Sa mission : continuer le lobbying politique et la conception d’outils mutualisés au service des coopératives. Sur le terrain, Habicoop et d’autres associations locales vont continuer à accompagner ceux qui rêvent à un autre mode, plus solidaire et équitable, d’habiter.

A lire

Les coopératives d’habitants. Méthodes, pratiques et formes d’un autre habitat populaire. Ss la dir. de Yann Maury. Éd. Bruylant, 512 p., 2011
Dirigé par Yann Maury et conclu par Jean Louis Laville, cet ouvrage collectif regroupe des articles théoriques et pratiques. Il a été réalisé avec le concours de membres de coopératives, de militants, de chercheurs, d’architectes, d’universitaires, d’élus issus des continents européen et américain, mobilisés en faveur de la défense d’un droit effectif au logement. À travers les exemples des « coopératives d’habitants » et des Community Land Trusts anglo-saxons, il invalide le discours ambiant sur la pénurie de logements, tout en offrant des perspectives pour refonder la ville coopérative.

Le livre blanc de l’habitat participatif. Ss la direction d’Anne-Laure Euvrard, 69 p., 2011 Co-signé par les associations de la Coordin’action nationale des associations de l’habitat participatif, ce Livre blanc rassemble un socle commun d’arguments pour faciliter le développement des initiatives citoyennes dans le domaine de l’habitat. Il est disponible surwww.ecoquartier-strasbourg.net

Lexique

Par habitat groupé, on entend différents types de projets collectifs d’habitat (copropriétés, sociétés civiles immobilières, etc.) dont les coopératives d’habitants. Si le groupe de citoyens à l’origine du projet devient maître d’ouvrage en construisant ou renouvelant un ensemble de logements, de la conception à la réalisation effective, on parle alors d’autopromotion. Si, en plus, les citoyens mettent les mains à la pâte pour réaliser tout ou partie de leur futur immeuble, on est face à un projet en autoconstruction.

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