« Avec l’habitat coopératif, une véritable politique d’habitat social est possible au Cameroun »

, par  Mathieu Viviani (Altermondes)

Introduit pour répondre au mal-logement des populations défavorisées du pays, l’habitat coopératif fait son chemin au Cameroun. Jules Dumas Nguebou est coordinateur des programmes d’Assoal, l’ONG qui en 2007 a lancé les premiers projets. Il explique à Altermondes le potentiel de ce modèle, source d’inspiration pour une nouvelle politique d’habitat social.

Comment a émergé le mouvement de l’habitat coopératif au Cameroun ?

Jules Dumas Nguebou : L’habitat coopératif au Cameroun est né comme réponse à la crise du logement traversée par le pays à partir de 1997. À cette époque, l’État lance un programme visant à récupérer de nombreux terrains publics pour construire des résidences et bureaux haut de gamme. Ces terrains avaient été occupés, avec l’accord tacite du gouvernement, par des populations précaires. Leur récupération a donc donné lieu à de nombreuses opérations de « déguerpissements » visant à exproprier les gens, sans aucunes solutions de relogement. Un vrai calvaire pour ces populations démunies. D’autant plus qu’elles n’ont jamais eu accès à des logements dits « sociaux », en raison de l’absence de politiques en la matière. C’est pour répondre à cette inégalité et ces expropriations que notre ONG Assoal a décidé de lancer un projet pilote de coopérative d’habitation en 2007. Avec seize associations de mal-logés, nous sommes allés voir le gouvernement pour lui parler du projet et lui montrer qu’une véritable politique du logement social était possible avec l’habitat coopératif.

Combien de projets avez-vous lancé et quelles sont leurs caractéristiques ?

J.D.N. : Nos lotissements sont éco-responsables et gérés par des locataires coopérateurs. À l’heure actuelle, nous avons construit trois lotissements ou résident 77 personnes. Le projet pilote se situe dans la banlieue de Yaoundé, la capitale camerounaise et les deux autres dans celles de Koutaba et de Yokadouma. Chaque maison du lotissement fait 80 m² et est construite en grande partie avec des matériaux locaux tels que la brique et le bois, le but étant d’utiliser le moins de ciment possible. En ce qui concerne l’accès à l’énergie, les habitations combinent l’éolien au groupe électrogène. L’accès à l’eau potable est provisoirement assuré par un puits doté d’une pompe à motricité humaine, mais on espère raccorder les habitations au réseau public prochainement. Enfin les maisons sont dotées d’un mini système d’assainissement et de toilettes sèches permettant la production d’engrais.

Comment financez-vous la construction de ces coopératives d’habitation ?

J.D.N : Nous avons plusieurs sources de financement. A côté de l’épargne des futurs locataires et quelques aides de l’État, nous sommes soutenus par l’aide au développement de l’Union européenne, ainsi que par des subventions d’ONG. On envisage de passer aussi par le crédit immobilier classique. Mais pour l’instant, c’est difficile car les taux d’emprunt ne sont pas accessibles aux projets que nous développons. Nous ne pouvons pas emprunter à 1% comme l’État le fait lorsqu’il souhaite construire des immeubles.

Qui sont les premiers bénéficiaires de ces logements et comment y accèdent-ils ?

J.D.N : Nous mettons un point d’orgue à ce que les populations précaires soient prioritaires dans l’accès à ces lotissements. Les maisons coûtent 6 700 000 francs CFA l’unité, soit près de 10 300 euros environs. Un prix très en dessous de l’offre habituelle située entre 26 000 euros et 35 000 euros le logement. Les locataires coopérateurs bénéficient d’une période de remboursement allant jusqu’à dix ans et au bout de laquelle ils peuvent devenir propriétaires grâce à notre système de location-attribution. Aussi, les coopérateurs ont la possibilité de participer à la construction de leur maison. Ils peuvent, aux côtés de professionnels du bâtiment, aider à la main d’œuvre. D’ailleurs, des jeunes ont par cet intermédiaire appris un métier. De plus, une fois les lotissements construits, ses habitants prennent en charge une partie de la maintenance quotidienne comme la collecte des déchets, l’entretien des parties communes, etc. Ce système permet de faire baisser certains coûts de fonctionnement en amont et en aval de la construction de ces maisons.

Quels sont les obstacles qui freinent aujourd’hui le logement coopératif camerounais ?

J.D.N : Il faut faire avancer la reconnaissance juridique des coopératives d’habitation au Cameroun. On espère notamment qu’une modification de la loi nous permettra d’être éligibles à l’aide public au logement dont bénéficient les promoteurs immobiliers classiques. Sur le volet financier, on espère qu’un Fonds National de l’Habitat Social camerounais sera bientôt créé . Celui-ci nous faciliterait l’accès au financement de nouveaux logements. Enfin, on rencontre souvent des difficultés pour trouver des terrains de construction. Du fait de l’absence de politiques d’aménagement dans plusieurs communes du pays, les terrains manquent ou ne sont pas adaptés aux normes de construction. Et pourtant, l’habitat coopératif progresse : huit ans après notre lancement, vingt autres coopératives d’habitation ont vu le jour. Cela nous donne plus de crédibilité aux yeux des décideurs de notre pays, qui s’intéressent de près à notre modèle.

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